T Adieu S
Égaré dans la nuit des montagnes de l’ouest,
En solitaire, j’allais, errant dans l’immondice
Du val. Autour de moi, témoins du temps jadis,
Somnolaient les carcasses. Ô, voyageurs célestes,
Ai-je en passant troublé votre profond sommeil ?
Le tapis de charogne entonnait sous mes pieds,
De la voix de la chair, la chanson du charnier :
Les os roses craquaient, gloussait le sang vermeil,
Et les vers, en grouillant, accompagnaient mes pas
D’une horrible musique. Les os entendent-ils ?
L’œil mort dans son orbite peut-il battre du cil
Pour éloigner la mouche dérangeant son trépas ?
Comme pour me répondre, en vague convulsion
S’anima le charnier sous le regard lunaire.
Émergeant lentement du cœur de l’ossuaire,
Et emplissant mes yeux de grande répulsion,
Un squelette prit vie. De la queue à l’échine,
La carcasse de vouivre, reconstitua ses os,
Et se gorgea de chair, et se couvrit de peau,
Et se para d’écailles, se hérissa d’épines,
Et confondit la bête, en la peignant de sombre.
Là où, peut avant lors, ne béait qu’une orbite,
Un œil rouge éclaira, comme une aube subite
Dévoilée de paupière, la vallée que les ombres
Avaient dissimulée. La lune fut cachée
Lorsque l’apparition déploya la voilure
De ses ailes d’ébène. S’envolant dans l’obscur,
Il disparut sans bruit.
*
Seize nuits sont passées,
Et je suis parvenu à regagner mes terres,
Mais mon cœur n'y retrouve une once de saveur.
Où sont le goût du vin et le parfum des fleurs ?
Pourquoi les voix de mes enfants semblent étrangères
À mes oreilles ? Les chants du luth et des oiseaux
N’y sont plus que nuisances. Le ciel n’est plus d’azur,
Et le soleil est sombre. Ma muse, dans ses murmures,
Ne susurre à ma plume que volées de sanglots.
En un dernier, je laisse découvrir à mon frère,
L’ultime mot d’un cœur dépourvu de lumière :
« Adieu ».
- Le Gai Souriceau - 6756 -
Note : ces mots, aujourd'hui chantés comme un hommage à leur auteur, figuraient sur une lettre trouvée à côté du corps sans vie du ménestrel, reposant sur son lit, les poignets sectionnés. Ce poème d'adieu est depuis lors le témoin le plus connu des effets causés par un Xilakheronier.
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